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05.03.2012
Prise de parole

Le respect et l'estime, par André Comte-Sponville

 

"Un footballeur, interrogé sur la prochaine équipe qu’il doit affronter, répond au journaliste : « C’est une grande équipe ; j’ai beaucoup de respect pour eux ! » C’est confondre le respect et l’estime, voire le respect et l’admiration.

Le respect porte sur la dignité ; l’estime, sur la valeur individuelle ou collective. Tous les êtres humains étant égaux en droits et en dignité, ils méritent tous le même respect. Tous ne jouent pas aussi bien au football ? Certes ! Il est donc légitime d’estimer davantage – d’un point de vue sportif – les bons footballeurs, et d’admirer les plus talentueux d’entre eux. Mais cela ne saurait autoriser à manquer de respect aux plus maladroits des footballeurs du dimanche, ni à ceux ou celles qui n’ont jamais tapé dans un ballon. C’est ce que l’éthique sportive, si elle est bien comprise, doit apprendre à nos jeunes gens : respect à tous, sur les terrains de sport comme ailleurs ; estime ou admiration pour ceux qui le méritent – et il y a mille façons d’être estimable, y compris quand on n’a aucun talent particulier pour le ballon rond ! Les professeurs de nos collèges, soit dit en passant, font un métier autrement ingrat et important que nos footballeurs professionnels. Il est inacceptable qu’on leur manque de respect. Il serait bon, presque toujours, qu’on leur manifeste davantage d’estime, voire d’admiration !

Et puis il y a le soi-disant « respect » qu’on prétend exiger des autres : ne jamais baisser les yeux, obliger celui qu’on croise à les baisser, ne pas supporter la moindre injure, quand on en a soi-même plein la bouche… Ce n’est plus respect mais vanité, querelle d’amours-propres, rapports de forces, jeux odieux de l’agressivité et de la peur. C’est ce qu’on appelle sottement « le sens de l’honneur », qui n’est qu’une estime de soi mal placée, sous le regard des autres. « L’honneur, ce fusil chargé… » Cette formule du philosophe Alain dit quelque chose d’essentiel. On peut tuer pour l’honneur, ou prétendu tel, pour un regard de travers, une honte prétendue (les « crimes d’honneur »), une place sur un trottoir ou dans une cité. On n’a jamais tué pour le respect, ni pour l’estime ou l’admiration.

Le respect est une vertu ; l’estime ou l’admiration sont des plaisirs, qui peuvent être vifs ; la morgue et la haine sont des fautes, qui ne méritent qu’un carton rouge."

 

par André Comte-Sponville

Philosophe, écrivain, enseignant

Membre du Conseil d'administration de la Fondation du Football

 

 

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